Culture et patrimoine
Patrice LACANAL
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La dernière séance
En avril, le projectionniste du Ciné 104, Patrice Lacanal, est parti à la retraite après trente-deux années passées dans les cabines obscures du cinéma pantinois. Portrait d’un acteur de l’ombre.
Portrait de Hana Levy, publié dans Canal n°279, juin 2019.
Il a toujours voulu faire du cinéma, Patrice. Alors, quand le foyer de jeunes travailleurs de Nantes, sa ville d’origine, lui propose de projeter les films du ciné-club, il signe des deux mains. Nous sommes en 1976, Patrice a 17 ans et déjà un tas de films d’animation et de fiction à son actif, qu’il tourne avec sa caméra Super 8 et autoproduit. Pendant son service militaire, il apprend à manipuler du matériel audiovisuel professionnel. À la fin de l’armée, c’est décidé : il sera projectionniste.
Mémoire d’une époque
En 1978, son CAP d’opérateur projectionniste en poche, il travaille dans différents cinémas de Nantes et de Brest. Quelques faits d’armes émaillent son parcours. Comme cette fois où le film s’est coupé en pleine projection et qu’il a fallu « juguler les 3 500 mètres de pellicule qui faisaient comme une immense vague jusqu’au plafond ! Ça nous a pris une demi-journée pour tout rembobiner ! ». En janvier 1987, « à l’époque noire où les salles de cinéma disparaissaient les unes après les autres », il décroche un poste de projectionniste-technicien au Ciné 104 qui vient juste d’ouvrir. Rapidement, il en devient chef opérateur, puis responsable technique. « Le Ciné 104 est très vite devenu un cinéma particulièrement dynamique. L’équipe s’est étoffée, les séances se sont multipliées et on a embauché d’autres projectionnistes », commente-t-il avant d’ajouter : « Manipuler les films argentiques en 35 mm était très physique. Chaque long-métrage représentait 5 ou 6 bobines et chaque bobine pesait 5 kg. Nous manipulions des sacs de 25 à 30 kg ! C’était aussi un travail manuel. Il fallait sortir les bobines, les monter, les vérifier manuellement, les raccorder avec du scotch. »
Le vent du numérique
Son expérience au Ciné 104 lui permet surtout de réaliser son rêve et de côtoyer le milieu du cinéma. « J’ai eu la chance de rencontrer les plus grands comme Claude Miller, venu me saluer dans ma cabine, Jean-Luc Godard ou Claude Chabrol. »
En 2003, lorsque la salle fait peau neuve, Patrice sent le vent tourner et pressent que l’ère numérique sonnera le glas de son métier. Mais il ne rate pas le coche : il se forme au web design et crée le site internet du cinéma. Ainsi, lorsqu’en 2012 le Ciné 104 troque ses antiques projecteurs pour des machines numériques, il transforme ce grand chambardement 2.0 en chance. S’il demeure projectionniste, la nature de son métier change profondément. « Avec l’apparition du numérique, les films se sont dématérialisés. Nous ne faisons plus de maintenance, ne manipulons plus de matière, nous contentant de faire du montage virtuel », conclut-il.